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Et Dieu s'est fait pierre. Les marbres polychromes comme support de l'invisible dans la peinture italienne

Chapitre d’ouvrage
2023
Mecthilde Airiau. Et Dieu s'est fait pierre. Les marbres polychromes comme support de l'invisible dans la peinture italienne. Noelia Silva Santa Cruz; Francisco de Asis Garcia Garcia; Laura Rodriguez Peinado; Raul Romero Medina. (In)materialidad en el arte medieval, Ediciones Trea, pp.315-332, 2023, Piedras Angulares, 978-84-195252-68-0. ⟨hal-04220200⟩
Matière première de la peinture, le pigment, une fois mélangé au liant, devient coloris et disparaît au profit de ce qu’il permet de montrer. La visibilité de l’œuvre n’est rendue possible que grâce au pigment qui voit sa matérialité absorbée dans la représentation. La transmutation, soit l’invisibilisation, du pigment devenu coloris, fonde alors toute possibilité de représentation picturale sans faire pour autant disparaître l’enjeu de rendre visible matériellement ce qui est invisible. Ce paradoxe qui court dans toute l’histoire de la peinture est particulièrement vrai pour la période médiévale où les sujets sont très largement religieux. La couleur cristallise ainsi le caractère proprement anagogique de la peinture religieuse médiévale : c’est en tant objet qui s’impose dans sa matérialité que l’image permet d’accéder à une réalité invisible et spirituelle. La présence de ce qu’on peut appeler des marbres polychromes dans la peinture italienne de la fin du Moyen Âge complique encore cette question. Ce motif iconographique a eu beaucoup de succès aux xive et xve siècles. Il s’agit de sols ou de panneaux recouverts de taches de couleurs faisant penser de loin à des marbres. Bien que recouvrant des espaces picturaux similaires, ces marbres polychromes semblent avoir une fonction différente de celle des tentures brodées et des dallages géométriques qui apparaissent à la même période. Contrairement aux tentures et aux dallages, ces marbres polychromes ne renvoient pas à la réalité. L’apparence concrète et solide de ces espaces picturaux s’efface rapidement au regard du spectateur pour laisser place à une nébuleuse de couleurs sur lequel les figures semblent flotter. Il s’agit d’une matérialité déguisée qui prend corps dans celle du tableau. Quelques travaux ont été établi le lien qui existe entre ces images de marbres et la présence de Dieu. L’association de Dieu à la pierre est une idée que l’on trouve déjà dans la Bible avec le symbole messianique de la « pierre d’angle » chez Isaïe, souvent appliqué au Christ dans le Nouveau Testament. Dans le tableau, les marbres permettraient donc de signifier la présence invisible de Dieu. De plus, dans de nombreuses images, les marbres polychromes condensent en un seul motif iconographique l’ensemble des couleurs du tableau : à la manière de Dieu immanent et omniprésent, ils contiennent toute l’image. La Hiérarchie céleste du Pseudo-Denys associe elle aussi Dieu et les pierres multicolores : par un mouvement d’anagogie, les pierres multicolores dans leur matérialité permettent à l’intelligence limité de l’homme de s’élever à la contemplation du divin. De la même manière, les marbres polychromes sont dans la peinture à l’origine d’un double mouvement d’anagogie dont le deuxième est contenu dans le premier : l’image peinte, dont la matérialité même permet l’accès à la connaissance spirituelle de Dieu, fait de la représentation d’un marbre polychrome le support du deuxième mouvement d’anagogie. Le spectateur s’appuie sur l’image d’un marbre faussement matériel, image qui s’ancre dans la matérialité du tableau, pour contempler un Dieu omniprésent mais invisible.
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