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Petit Séminaire de l'ERCO, 2005

Petit Séminaire « Travaux en cours / Nouvelles recherches » de l'ERCO
Équipe de recherche en histoire de l'art contemporain XXe-XXIe siècles

 

Résumés des communications du séminaire 2005 (Janvier - juin)

Page personnelle

« Les couvertures illustrées de la revue VVV et leur genèse. Sur quelques problématiques du surréalisme en exil »

L’étude porte sur les revues surréalistes ou apparentées publiées sur le continent américain pendant la période de la Seconde Guerre mondiale. Les deux premières séries de View permettront de se faire une idée des théories qui circulaient dans le milieu intellectuel à New York au début des années quarante. View a été un forum efficace pour maintenir une ligne éditoriale pour les surréalistes en exil. La revue n’a pas été pour autant un substitut de revue surréaliste, mais elle va publier ce qu’il y avait d’important dans le mouvement jusqu’en 1942. L’étude de cette revue est donc indispensable car elle permet d’entrevoir des ponts qui se tissent entre des nouveaux venus et des thèmes que le surréalisme devait découvrir sur le sol américain. VVV est une revue publiée pour la première fois en juin 1942. Les textes sont beaucoup plus proches de la sensibilité d’André Breton et des surréalistes anciens ou nouveaux qui y participent. Dyn, la revue de Wolfgang Paalen, en exil à Mexico, suscite convoitises et jalousies qui vont pousser André Breton dans une sorte d’émulation pour mesurer la revue VVV à l’aune de la revue Dyn. Le contexte si particulier qui voit naître ces revues donne des clés pour comprendre les enjeux du surréalisme après 1945.

The conference is about surrealist reviews which had been published on the American continent during World Warr II. The two first issues of View will help us to understand theories which were discussed in the New York intelligentsia at the beginning of the forties. View was an important forum to keep an editorial policy among surrealists in exile. The review was not an ertsatz of a surrealist review but it will contribute to publish what was important in the movement till 1942. The study of that review is crucial if we want to comprehend the new places of interest that surrealists discovered in America. VVV is first published in june 1942. Texts are more closed to André Breton’s sensibility and to ancient and new surrealists themselves. The Wolfgang Paalen’s Dyn review which was published in Mexico provokes the jealousy of André Breton and contributes to develop the VVV review. This particular context is very interesting to understand the development of surrealism after 1945.

 

« Les dessins de Raoul Ubac (1910-1985) : introduction à quelques problématiques du surréalisme à Paris pendant la Seconde Guerre mondiale »

Au début de la Seconde Guerre mondiale, l’artiste belge Raoul Ubac délaisse, mais sans encore l’abandonner, un medium par lequel il s’était fait connaître au sein du surréalisme des années 30 : la photographie. Il se concentre alors sur la représentation graphique d’objets usuels. Souvent perçu comme le signe avant-coureur d’un éloignement du surréalisme, ce tournant n’a jamais été envisagé dans le champ élargi des débats théoriques et artistiques de l’époque. A partir de cette difficulté d’interprétation, il s’agissait donc de s’interroger sur les significations profondes de ce passage de la photographie au dessin et de questionner les œuvres à la lueur de l’évolution contemporaine du surréalisme.

En 1940, Ubac est profondément marqué par une lettre de Breton qui pose le problème de l’avenir théorique du surréalisme. Pensé comme essai de redéfinition du surréalisme, le concept de réalisme visionnaire qu’il emprunte au philosophe Jean Simian, devient alors la clef de voûte théorique sur laquelle il fonde ses nouvelles recherches. C’est donc dans la perspective d’un dépassement du surréalisme orthodoxe qu’il s’agit d’envisager son évolution artistique. Les dessins d’Ubac se situent alors dans un vaste mouvement de renouvellement théorique du surréalisme, dont l’apparition coïncide avec cette véritable crise historique que constitua le second conflit mondial. En France, ce phénomène se traduira par l’important travail de réflexion d’un groupe qui se propose de maintenir le surréalisme dans le Paris occupé : La Main à Plume. Sans renier les acquis du mouvement d’avant-guerre, le groupe apportera de nouvelles propositions théoriques dans les champs de l’image poétique et de l’objet. Paradigme clef du surréalisme sous l’Occupation, l’objet est aussi au cœur des recherches d’Ubac qui participera aux activités de La Main à Plume jusqu’en janvier 1943.

S’inscrivant dans un moment de redéfinition des enjeux, les dessins d’Ubac apparaissent donc plus comme une remise en question du surréalisme que comme une négation de son esprit.

The war drawings of Raoul Ubac (1910-1985) : an introduction to some problems of surrealism in Paris during the Second World War.

At the beginning of the Second World War, the Belgian artist Raoul Ubac forsakes, yet without abandoning it, a medium by which he had been known within the surrealism of the 30s: photography. Then, he concentrates on the graphic representation of everyday objects. Often interpreted as a sign heralding a separation from surrealism, this turning point was never considered in the field of theoretical and artistic debates of the time. From this difficulty of interpretation, we had to wonder about the underlying significations of this passage from photography to drawing and to question the works in the light of the contemporary evolution of surrealism.

In 1940, Ubac was thoroughly marked by a letter from Breton which raises the problem of the theoretical future of surrealism. Thought as a try to redefine surrealism, the concept of visionary realism borrowed from the philosopher Jean Simian, then becomes the theoretical keystone on which he bases his new researches. Thus, it is in the perspective of going beyond the orthodox surrealism that we have to consider its artistic evolution. Ubac’s drawings are then situated in a vast movement of theoretical renewal of surrealism, which coincides with the real historic crisis that constitutes the Second World War. In France, this phenomenon was expressed by the important work of thinking produced by La Main à Plume, a group which proposes to maintain surrealism in the occupied Paris. Without denying the experiences of the pre-war movement, the group brought new theoretical propositions in the fields of poetic image and object representation. Key paradigm of the surrealism under the Occupation, the object is also in the heart of Ubac’s researches ; he participates in the activities of La Main à Plume until January, 1943.

Being part of a process of redefining perspectives, Ubac’s drawings thus appear more as a calling into question of surrealism than as a negation of its spirit.

« Le hasard relevé : les collages d’Ellsworth Kelly »

Notre communication concerne un aspect de l’œuvre d’Ellsworth Kelly : sa façon particulière de procéder dans le domaine du collage et d’élargir par la suite les résultats obtenus. Notre analyse s’attache surtout aux collages créés pendant son séjour en France (1948-1954). Kelly a tout d’abord eu recours au procédé du « transfert », par lequel il s’efforce de donner la transcription fidèle d’une forme (pattern) qui l’a frappé dans l’environnement, naturel ou artificiel. Il s’agit donc pour Kelly, à ce stade, de copier une trouvaille formelle fortuite, un don du hasard : il relève une « composition » existante. L’artiste choisit des motifs déjà plans, dont la reprise picturale ne nécessite pas d’autre transformation que celle des dimensions. Dans un deuxième stade, l’œuvre reste, dans une certaine mesure, tributaire de l’aléatoire initial, mais le hasard aura été rehaussé, relevé à un niveau supérieur : par un choix, une extraction, un isolement – ainsi que par une permutation opérée selon une grille modulaire. Enfin, un troisième stade consiste en une ouverture vers l’espace architectural, qui sera investi ultérieurement. Dans l’esprit de Kelly, le champ horizontal de l’aléatoire – le collage – est destiné à être relevé, redressé à la verticalité « architecturale ». Les polyptyques parisiens de l’artiste incarnent ce « désir d’architecture ». Retraçant ce cheminement créateur, nous avons souligné l’importance de la « mise en chantier » que peut être le collage : pour Kelly la fonction essentielle du collage est bien d’assurer le passage à une plus grande échelle. De ce fait, chez cet artiste, le collage s’articule dans le temps. Il y a déconstruction, puis re-composition. Il nous semble que dans sa complexité le terme « relever » cerne tout à fait les procédés de l’artiste dans ce domaine. Ses trois aspects – 1) faire un relevé, noter ; 2) rehausser, relever à un niveau supérieur ; 3) mettre debout, en vue d’un espace architectural – définissent la méthode de Kelly, créateur de collages fasciné par un espace contigu, plus large.

Transforming chance: The Collages of Ellsworth Kelly

This presentation concerns one aspect of the work of Ellsworth Kelly: his specific approach to collage and the way he subsequently extends the results obtained. This analysis focuses on the collages made during the artist’s “French Years” (1948-1954). Kelly begins by using the method of “transfer,” giving a faithful transcription of patterns that struck him in a natural or an artificial environment. Kelly then copies his fortuitous find – chance elements that present formal qualities – by recording a pre-existing “composition.” The motifs the artist chooses are flat, so the pictorial transposition requires no transformations other than those concerning the dimensions. Afterwards, the work remains, to a certain extent, dependent on chance, but the “chance quality” will be heightened to a superior level through a process of selection, extraction and isolation, and through permutation made possible by using a modular grid structure. Kelly’s work ultimately opens up to the possibility of architectural space. In Kelly’s mind, collage – the horizontal field of chance – should be raised to “architectural” verticality. The “Multipanel Paintings” embody this orientation towards architecture, towards the wall. Retracing Kelly’s creative development, the idea of collage as a transformation of chance cannot be separated from its function to assure a transition to a larger scale. Through Kelly’s approach, collage thus opens up in time. One observes a deconstruction and subsequently a re-composition. The French verb “relever,” by its very complexity, may define this process. The three aspects the term covers – 1) to record; 2) to heighten to a superior level; 3) to raise, having already an architectural space in mind – shed light upon Kelly as “finder” of patterns, creator of collages, and “designer” of a contiguous, much larger space.

Voir la notice de la thèse de Mari Komoto

« André Lhote et la théorie du dessin »

Jean-Roch Bouiller, docteur en histoire de l’art et conservateur du patrimoine, a présenté une communication sur la théorie du dessin selon André Lhote, au « petit séminaire » de recherche en histoire de l’art contemporain, jeudi 14 avril 2005, salle Jean Cassou. Madame Dominique Martin, nièce et ayant droit d’André Lhote, a honoré l’équipe de sa présence et a participé au débat qui a suivi l’exposé en apportant des précisions sur les carnets de croquis d’André Lhote.

Il y aurait de multiples manières d'aborder la question du dessin chez André Lhote (1885-1962) et de soulever celle de sa place dans ses années d'apprentissage, dans la diffusion de son œuvre, dans ses pratiques de peintre, de critique, de théoricien, de pédagogue ou de collectionneur... On peut essayer de montrer ce que la représentation et la pratique du dessin par Lhote peuvent enseigner sur sa conception de l'art et sur la manière dont il s'insère dans le champ artistique du XXe siècle en tant qu'artiste-auteur. En effet, la notion floue et complexe de dessin est l'une des clefs pour comprendre quelques-uns des enjeux essentiels du champ artistique à cette période et quelques-unes de ses mutations les plus radicales : ainsi celles qui touchent à l'admiration des maîtres anciens, à la place réservée aux exercices techniques ou aux modes d'enseignement.

Les écrits de Lhote regorgent de recours au mot "dessin", essentiellement dans trois cas : tout d'abord pour caractériser les qualités des grands peintres qu'il admire (Cézanne étant au sommet d'une hiérarchie virtuelle pour son aisance à combiner traitement du dessin et de la couleur, Ingres étant reconnu comme le maître du dessin par excellence) ; comme un des critères de jugement qui lui servent à évaluer les œuvres contemporaines en tant que critique, notamment à La NRF ; enfin dans des articles spécifiquement consacrés au dessin ou aux dessins en tant qu'œuvres. Trois sens du mot "dessin" apparaissent ainsi : un sens général où "dessin" est opposé à "couleur" ou "lumière", où le dessin est présenté comme la base de la peinture et la couleur comme un élément presque superflu ; un sens plastique qui permet à Lhote de rejeter la pratique de la ressemblance servile comme de l'abstraction grâce à l'analyse des œuvres en termes d'éléments plastiques juxtaposés, parmi lesquels le dessin occupe une place de premier plan ; un sens technique enfin qui permet à Lhote de présenter dessins préparatoires ou aboutis comme des œuvres en soi, ayant des caractéristiques propres et opposées à la peinture murale, à la peinture de chevalet ou même à la sculpture.

Mais Lhote est avant tout praticien. Parallèlement à sa pratique de la peinture on le voit recourir au dessin comme à un champ d'expérimentation, comme à un équivalent d'une toile peinte ou comme à un outil en vue d'une peinture.

André Lhote and drawing theory

There would be many manners of tackling the question of drawing theory according to André Lhote (1885-1962). We could question drawing place in his training years, in the diffusion of his works, in his practices of painter, of critic, of theoretician, of pedagogue or of collector... Lhote's representation and practice of drawing can give us some indications on his theory of art and on his position as an artist-author in the 20th century's artistic field. Indeed, the fuzzy and complex concept of drawing is one of the keys to understand some of essential stakes in the artistic field at this period and some of its most radical changes. Those stakes and changes deal with the admiration of old Masters, with the place reserved for technical exercises or with modes of teaching.

Lhote's writings abound in recourse to the word "drawing", primarily in three cases: first of all to characterize qualities of painters whom he admires (Cézanne being at the top of a virtual hierarchy for his ease to combine treatment of drawing and colour, Ingres being recognized as best expert in drawing); secondly as one criteria of judgement used to evaluate contemporary works, in particular in La NRF; finally in articles specifically devoted to drawing or drawings. Three meanings of the word "drawing" appear as follows: a general meaning where "drawing" is opposed to "colour" or "light", where drawing is presented as the base of painting and the colour like an almost superfluous element; a plastic meaning with which Lhote rejects as the practice of servile resemblance as the practice of abstraction, thanks to an analysis of works in terms of juxtaposed plastic elements, among which drawing occupies a main place; finally a technical meaning with which Lhote presents drawings as works of art, opposed to mural paintings, to oil paintings or even to sculptures.

But Lhote is first of all a painter. In parallel to his painting he resorts to drawing as an experimentation field, as an equivalent of painting or as a tool for preparing a picture.

« Jean Dubuffet et la question du dessin dans les livres illustrés »

Penser la question du dessin dans les livres illustrées de Jean Dubuffet (1901-1985) présuppose de distinguer plusieurs opérations qui peuvent toutefois se superposer dans sa pratique d’illustrateur. Tout d’abord, « écrire et dessiner » permet d’envisager la conception du livre – la genèse (élaboration concertée, hasard) ; les contributions (interventions ponctuelles, travaux d’envergure) ; les effets de transpositions (séries indépendantes, suggestions contenues dans le titre ou illustration littérale) ; ce qu’en dit l’artiste (comment il a réalisé ses livres, ses lectures). Ensuite, la seconde étape « éditer » fait appel à un éditeur qui accepte un ouvrage ou passe une commande avec des contraintes plus ou moins grandes. Puis, la troisième étape « imprimer » résulte du travail d’un imprimeur dont la latitude varie en fonction de l’attention que l’illustrateur accorde aux questions de maquette, de mise en page, de format et de caractère. Enfin la dernière étape concerne la « réception » qui fait appel au regardeur mais aussi au galeriste lorsque les livres illustrés sont présentés en parallèle à l’œuvre dessiné ou gravée.

Rétif à toute forme d’illustration, Dubuffet réalise néanmoins 28 livres illustrés entre 1945 et 1983. Une périodisation permet de montrer que les premiers livres illustrés en collaboration avec des écrivains résistants proches de Jean Paulhan (Éluard, Frénaud, Ponge et Guillevic) sont des livres de luxe. Réalisés dans l’immédiat après-guerre, ils ont pour point commun la technique lithographique et un éditeur-imprimeur, Fernand Mourlot. Dans les livres illustrés de cette période, le dessin affirme les marques de la linéarité notamment le dessin calligraphié qui évoque des graffiti. Une seconde période s’ouvre en 1948 avec l’incursion de Dubuffet dans l’Art Brut. L’artiste devient à la fois illustrateur, imprimeur et éditeur et multiplie les techniques (gravures de Ler dla Campane, lithographies de Anvouaiaje, encre de chine de Labonfam Abeber, par inbo nom). Enfin avec les années 60, au moment de la consécration de son œuvre, s’ouvre la dernière période du livre illustré dans l’œuvre de Dubuffet – la plus prolixe. Avec L’hourloupe, la rayure au stylo bic s’impose comme invention d’un style.

Les manipulations que Dubuffet fait subir au dessin l’inscrivent néanmoins dans une tradition de livres illustrés de bibliophilie avec des techniques artisanales, une typographie bien soignée et des gravures originales.

Jean Dubuffet and the question of drawing in the illustrated books

To think about the question of drawing in the books illustrated by Jean Dubuffet (1901-1985) we need to distinguish various operations that can in fact be superimposed in his practise as an illustrator. First of all, “write and draw” allows to consider the conception of the book – its genesis (concerted elaboration, chance) ; contributions (selective interventions, far-reaching participation) ; the effects of transpositions (independent series, self-contained suggestions in the title or literal illustrations) ; what the artist says about the work (in what way he carries out his projected books, the books he himself reads). Next, the second stage “to publish” deals with a publisher who accepts a book or who commissions a work, with the imposition of certain greater or lesser conditions. Then, the third stage “to print” with results depending on the discretion given to the printer in proportion to the attention that the illustrator gives to questions of the dummy, the layout, the format and the characters. Finally, the last stage, which concerns the “reception” of the work, is a function of the viewer, but also of the art-dealer if the illustrated books are presented together with the drawn or engraved works.
Recalcitrant as to all forms of illustration, Dubuffet nevertheless illustrated 28 books from 1945 to 1983. A division into periods of this corpus of work, allows us to see that the first illustrated books, which were done in collaboration with writers who had fought in the Resistance and who were close to Jean Paulhan (Éluard, Frénaud, Ponge and Guillevic) are luxurious books. Done in the time immediately after the war, they all have in common a certain lithographic technique and a single editor/publisher, Fernand Mourlot. In the books illustrated during that period, the drawings all show signs of linearity, especially calligraphic drawings that evoke graffiti. A second period begins in 1948 with Dubuffet’s incursion in Art Brut. The artist becomes illustrator, printer and publisher at the same time and increases his techniques (wood-engraving of Ler dla Campane, lithography of Anvouaiaje, Indian ink of Labonfam Abeber, par inbo nom). Finally, at the beginning of the 60s, at the moment of the consecration of the artist’s work, the last – and most prolix period of illustrated books – begins. With L’hourloupe, scratching with the ball-point pen becomes the invention of a new style.
Dubuffet’s modern manipulations of drawing place him within the bibliophilic tradition of illustrated books done with artisanal techniques, meticulous typography and originals engravings.