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Entretien avec un jeune chercheur : Romain Ravignot

Entretien
Mythologie française - Bulletin trimestriel
01.09.2023
Texte
Intervenant(s) :

Cet entretien est à retrouver dans le Bulletin trimestriel de la société de mythologie française N°292-1 (septembre 2023). Il contient également une publication de Romain Ravignot, « Appréhender et sacraliser l’espace : l’approche archéoastronomique. Étude de sites protohistoriques allemands », p. 26-30.

Romain, vous êtes un jeune chercheur en archéoastronomie, pourriez-vous dire à nos lecteurs quelle a été votre formation et votre parcours ?

Après une licence en histoire de l’art et archéologie à Sorbonne-Université, j’ai réalisé deux mémoires de recherche sur l’iconographie du monnayage à la croix du Sud-Ouest de la Gaule sous la direction de Nathalie Ginoux, dans cette même université (publiés sous forme d’articles). L’iconographie de ce monnayage revêt des aspects symboliques et conceptuels très prégnants chez les Celtes : quadripartition centrée, représentation de divinités au droit – plus ou moins conceptualisées – et surtout, mon hypothèse proposait de voir dans les revers de ces monnaies, un calendrier. Naturellement, cette hypothèse a été nourrie par de nombreuses lectures traitant des calendriers ou d’astronomie ; certaines études numismatiques postulent la représentation d’étoiles ou d’astres sur ces médiums. On peut objecter à cette hypothèse, assez facilement d’ailleurs, son caractère singulier ou isolé. C’est l’écueil majeur des études iconographiques où l’archéologue est confronté à un objet riche de sens mais isolé. Ainsi, à la suite de ces deux mémoires, j’ai souhaité poursuivre mes recherches sur l’orientation astronomique des sanctuaires et espaces sacrés des Celtes jusqu’à la période augustéenne, dans un cadre statistique plus large afin d’écarter cette critique. Cependant, ce thème de recherche, très transdisciplinaire, soulève de nombreuses réticences chez les archéologues, nourries très probablement par une méconnaissance du sujet ou des études déjà parues assez farfelues. Alors même que le nombre d’études sur le sujet augmente en Europe, force est de constater que nous avons pris un grand retard en France. Ce sujet d’étude imposait aussi un cadre européen, dans la mesure où les Celtes se sont étendus dans la majeure partie des pays européens. Il me fallait également amasser nombre de connaissances astronomiques, absentes de mon cursus de départ, afin de pouvoir comprendre les mécanismes célestes en jeu dans les orientations des structures, c’est pourquoi, je suis le DU « Explorer et comprendre l’Univers » de l’Observatoire de Paris. Ma thèse est dirigée par Marco Garcia Quintela, spécialiste reconnu en histoire des religions, César Gonzalez-Garcia, astronome, à Santiago de Compostela, tous deux, théoriciens de l’ « Astronomie dans la culture », et Nathalie Ginoux, spécialiste de l’archéologie de l’âge du fer, à Sorbonne-Université.

Quels sont vos principaux axes de recherche et en quoi sont-ils novateurs ?

Mes recherches s’axent autour de trois thèmes : historiographie (état de la question), l’étude des orientations à des échelles variées, et l’interprétation que l’on peut en faire.
L’état de la question est primordial aussi bien pour la compréhension et la définition de ce qu’est un sanctuaire, que pour comprendre la méthode imposée par l’astronomie dans la culture. En effet, sans vouloir être exhaustif, nous rencontrons dans la littérature scientifique de nombreuses appellations pour qualifier le sanctuaire : cette multiplication des qualificatifs est probablement due à la difficulté, dans certains cas, de retenir une seule hypothèse pour interpréter un site en l’absence de mobilier probant. L’autre volet, l’astronomie dans la culture est aussi nécessaire, dans la mesure où votre première question parle « d’archéoastronomie ». Les appellations dans ce champ de recherche sont aussi pléthoriques alors même qu’elles révèlent des réalités différentes. Quelles sont les différences entre l’archéoastronomie, la paléoastronomie, l’astronomie dans la culture, l’éthnoastronomie etc. ? Nous pourrions la résumer à une histoire de curseur ! Ainsi, l’archéoastronome ou paléoastronome va chercher dans le passé à extraire des connaissances astronomiques (cf. travaux de Rahlf Hansen ou Christine Rink) alors que l’ethnoastronome va se servir d’une grille d’analyse ethnologique pour comprendre ce passé astronomique. L’astronomie dans la culture, telle que définie par Marco Garcia Quintela et César Gonzalez-Garcia se veut plus vaste et anthropologique que l’archéoastronomie. Elle occupe une position intéressante entre l’archéologie du paysage et l’anthropologie cognitive.
Le second volet, l’étude des orientations à des échelles géographiques variés, permet de collecter un grand nombre de données et d’orientations et ainsi faire dialoguer l’orientation d’une structure, avec la cité (ou non) dans laquelle elle se trouve, avec le peuple dans laquelle elle se place, etc. Dans un premier temps, notre objectif est de collecter un maximum de données afin d’en tirer des enseignements statistiques.
Le troisième axe de notre recherche réside dans une démarche interprétative. Avec l’ensemble des données collectées, nous espérons mieux comprendre les choix quant à l’orientation de structures chez les Celtes jusqu’à l’époque augustéenne. Ainsi, notre recherche vise à dépasser ce vieux débat entre assimilation et résistance, initié au XIXe siècle par Jullian et Arbois de Jubainville. Existe-t-il des orientations ethniques ? Les Carnutes orientaient-ils leurs sanctuaires comme les Osismes ou les Éduens ? La romanisation précoce dans le Sud de la Gaule a-t-elle joué un rôle dans l’orientation des fana chez les peuples en contact avec la romanité ou en Narbonnaise ? Aussi, existe-t-il des orientations spécifiques aux divinités honorées ou aux types de sanctuaires (de soins, de frontières, urbain, péri-urbain, etc.) ? C’est à l’ensemble de ces questions que nous espérons répondre avec ce travail de thèse. Dans certains cas, les mesures réalisées sur le terrain permettent de pronostiquer une orientation singulière, un dialogue avec d’autres structures (contemporaines, antérieures ou postérieures), une continuation, etc. Dans ce cas, elles invitent à réaliser des recherches historiques, hagiographiques, etc.
Ce travail est novateur à bien des égards ; par le corpus étudié avec plus de 100 sites, par l’étendue géographique, d’abord circonscrite à la région Centre, puis étendue à l’ensemble de la Gaule, par la fourchette chronologique, de l’Indépendance à la période augustéenne, afin de déceler le substrat celtique de l’apport romain. Ce sujet vise également à apporter des réponses calendaires et trancher le débat historiographique entre celtosceptiques et celtomaniaques : les fêtes celtiques nous étant essentiellement connues par les textes insulaires irlandais et quelques mentions gauloises, comment peut-on expliquer qu’un nombre important de sanctuaires s’orientent sur ces fêtes de début de saison ?

Vos recherches ne sont pas, à proprement parler des recherches mythologiques. Pouvez-vous nous dire comment et en quoi elles se connectent à la mythologie française et donner quelques exemples ?

Effectivement, au premier abord, ces recherches ne semblent pas mythologiques, quoique… Pour rappel, nombre d’églises s’orientent sur la fête de leur saint patron – la prise de mesure est similaire, seuls l’analyse et l’accès aux matériaux diffèrent. Comme je le disais précédemment, certains sites sont particuliers et invitent à faire de la mythologie. Dernièrement, l’étude des orientations dans l’antique Tasciaca (site proche de Thésée, Loir-et-Cher) a permis de révéler que les églises des trois paroisses qui constituent l’antique agglomération partagent des orientations avec les structures antiques. Mieux, les saints qui y sont honorés, saint Lié et saint Saturnin, sont célébrés à des dates proches de Samhain, orientation très présente sur le fanum et son autel. Saint Georges, le saint sauroctone, présent sur les hauteurs de Thésée, surveille le Cher où deux témoignages indiquent la présence d’un monstre marin. Curieuse coïncidence, un exvoto retrouvé près du fanum remercie la divinité du fleuve pour avoir eu la vie sauve après un épisode de traversée dangereux.
L’oppidum d’Avaricum (Bourges) estorienté selon un axe 1er mai / 1er août alors que la cathédrale apparaît très désaxée par rapport à la trame urbaine. La cathédrale est orientée sur un axe 14 février / 1er novembre. Il est alors intéressant de s’intéresser au premier évêque de Bourges, saint Ursin, fêté le 9 novembre. L’axe calendaire dessiné par l’orientation de la cathédrale reprend la période d’hibernation de l’ours, se terminant en février. D’ailleurs, la porte Saint-Ours à Bourges présente un calendrier débutant en février. Le parallèle onomastique entre Ursin et l’ours ne vous aura pas échappé !
Le dernier exemple est Autricum (Chartres). Les plans archéologiques de l’antique cité montrent que le sanctuaire de Saint-Martin-au-Val est très désaxé par rapport à la cité se trouvant sur l’ancien oppidum. L’orientation de la trame urbaine de la cité a pu être mesurée puisque la cathédrale suit ses cardo et decumanus. Autricum est orienté sur le lunistice, une orientation très singulière, à mettre en rapport, peut-être, avec le statut particulier des Carnutes prêté par César. Cependant, le sanctuaire péri-urbain qui comprend un temple dédié à Apollon adopte une orientation solaire car équinoxiale. Ce constat ne fait que mettre en relief les travaux de thèse de Bernard Robreau qui ont montré l’usage d’un double comput calendaire, luni-solaire à Chartres jusqu’au haut Moyen Âge.

Quels sont les principaux mythologues dont les méthodes vous ont intéressé et influencé ? Ont-ils joué un rôle important ou secondaire dans vos recherches ?

Le premier mythologue à m’avoir influencé est, sans contestation, Bernard Sergent, avec ses ouvrages Celtes et Grecs. Ces études m’ont permis de comprendre que le comparatisme et l’analyse des textes pouvaient permettre de retracer des jalons de la mythologie celtique, me permettant de mieux comprendre les images monétaires que j’étudiais alors. Il a également publié un article passionnant et riche sur le temps chez les Indo-Européens.
L’étude de Donatien Laurent, sur le juste milieu, reste pour moi un modèle du genre tant son érudition hagiographique et comparatiste est mise au service d’une archéologie du paysage.
Les travaux de Dominique Hollard et Daniel Gricourt, sur les jumeaux divins ou sur les saints des bornes calendaires sont extrêmement riches et nourrissent mes réflexions sur la conception du temps chez les Celtes ou la compréhension de certains sites et lieux. Leurs travaux mêlent souvent iconographie, comparatisme, archéologie et hagiographie et constituent, en cela, un exemple à suivre vers la transversalité.
Les travaux de Bernard Robreau sur le paganisme carnute ou le Locus Consecratus sont très riches méthodologiquement. Ils permettent de mettre en relation les hagiographies, les sites, les rituels et le calendrier. Je dois avouer que, étant chartrain, je suis passionné par la question du Locus consecratus césarien et de son emplacement. C’est cette question qui m’a fait basculer dans le grand bain des études celtiques.
Bien évidemment, les travaux de Marco Garcia Quintela ont été pour moi une véritable révélation ! L’idée de relier une structure (son archéologie, son rôle, sa fonction, son orientation), son environnement avec des sources littéraires pour mieux comprendre la religion celtique et la phase de romanisation, m’apparaît encore merveilleuse ! On ne peut oublier son travail pour faire perdurer et vivre l’héritage dumézilien.
Enfin, les publications de Valéry Raydon dépoussièrent et réactualisent nos connaissances sur la religion et les dieux gaulois. En cela, je regrette, de ne pas avoir lu son travail sur le Mythe de la Crau avant la publication de mes mémoires, tant il donne de crédit à mes hypothèses héracléennes.

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