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Mélanges Catherine Jolivet-Lévy

2016
Paris, Association des Amis du Centre d'Histoire et Civilisation de Byzance, « Travaux et mémoires » (20/2), 2016
ISBN
978-2-916716-62-6
85.50
  • Cet ouvrage, dirigé par Élisabeth Yota, maître de conférences à l'université Paris-Sorbonne et membre du Centre André Chastel, avec Sulamith Brodbeck, Andréas Nicolaïdès, Paule Pagès, Brigitte Pitarakis et Ionna Rapti, a pour objectif de rendre hommage à Catherine Jolivet-Lévy qui a pris sa retraite en 2014 de la chaire d’Archéologie religieuse du monde byzantin et des arts chrétiens d’Orient de l’École pratique des hautes études.
  • Un appel à souscription avait été lancé par le Centre André Chastel pour la publication de ce volume. Sa publication a reçu le concours de l'École pratique des hautes études.

Avant-propos de Jean-Pierre Sodini, membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres

Catherine Jolivet-Lévy a été l’étudiante d’Anatole Frolow qui fut mon prédécesseur à la chaire d’art byzantin de l’université Paris 1. À la mort de ce dernier, je fus appelé à le remplacer en compagnie de Pauline Donceel-Voûte qui fut, peu après, choisie comme directrice de l’Institut néerlandais d’Istanbul et démissionna de son poste. Catherine me parut toute désignée pour la remplacer, d’autant que nos champs d’activité, l’archéologie de l’Antiquité tardive de mon côté, l’histoire de l’art de Byzance du sien, se complétaient parfaitement. Ainsi commença une collaboration pédagogique et scientifique qui fut efficace et harmonieuse car elle était fondée sur le recours aux documents, leur insertion dans leur contexte historique, culturel et souvent liturgique, ainsi que sur une méfiance commune des a priori stylistiques. Sa nomination, après son habilitation à diriger des recherches en 1996, comme professeur à Paris 1 puis comme directrice d’études à l’École Pratique des Hautes Études (Ve section) lui permit d’assurer pleinement un rôle éminent dans la formation à la recherche de jeunes chercheurs.

Catherine avait choisi de se tourner pour sa thèse vers la peinture de Cappadoce, qu’elle centra sur le décor absidal, plongeant ainsi au cœur du système iconographique, de son programme et des intentions particulières exprimées dans tel ou tel édifice. Soutenue en 1981, sous le titre La Peinture byzantine en Cappadoce. Problèmes d’ensemble et introduction à l’étude de l’iconographie absidale, elle fut publiée par les éditions du CNRS en 1991 sous le titre Les Églises byzantines de Cappadoce. Le programme iconographique de l’abside et de ses abords (592 pages). L’ouvrage reçut de vifs éloges, notamment de Charles Delvoye qui signa là son dernier compte rendu, inachevé, dans Byzantion.

La Cappadoce a donc été au centre de la réflexion scientifique de Catherine, sur les traces de Guillaume de Jerphanion disparu en 1948, dont elle a salué l’œuvre pionnière et dont elle a publié tout récemment, avec Nicole Lemaigre Demesnil, chez le même éditeur, une mise à jour exhaustive (La Cappadoce, un siècle après Guillaume de Jerphanion, 2015, prix Lantier de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres), qui respecte les articulations de son illustre devancier tout en enrichissant de deux cent cinquante monuments nouveaux ceux qui avaient été recensés par lui. Elle participa à plusieurs missions de Jean-Michel et Nicole Thierry dans le milieu des années 70, avant de voler de ses propres ailes. Elle a consacré beaucoup d’énergie à l’étude de cette région, qu’elle a élargie aux secteurs du Hasan Dağı (à l’ouest), de Niğde (au sud) et de Kayseri (à l’est). Elle a labouré inlassablement cet espace, initiant sur le terrain des étudiants français, mais aussi grecs et turcs, même si elle se heurta parfois à des « chasses gardées ».

Sa très large connaissance des sources bibliques et chrétiennes, ainsi que de l’iconographie religieuse du monde chrétien, lui a permis de mieux déchiffrer et d’améliorer la lecture de beaucoup de parois cappadociennes. Répertoire iconographique, cycles (comme ceux de l’Enfance de la Vierge, de l’Archange Michel), cultes locaux (saint Hiéron, saint Eustathe, ou encore saint Kèrykos), écho des cultes de la Syrie proche (stylites), sujets rares (images de l’Agneau) ont été mieux pris en compte. Sa vision du programme d’ensemble des églises, son souci de la mise en rapport des images les unes avec les autres et du choix de leur emplacement correspondent à l’approche actuelle des décors, tout comme la reconnaissance du poids des commanditaires dans ce domaine, quand ils sont mentionnés dans des inscriptions dédicatoires ou des invocations, comme dans le cas de deux églises, la Nouvelle Église de Tokalı et, surtout, le grand pigeonnier de Çavuşin où Nicéphore Phocas, représentant de l’aristocratie cappadocienne, l’impératrice Théophano et d’autres membres de la famille impériale font face à Constantin et Hélène.

Toutefois, les recherches menées depuis Jerphanion l’ont amenée à infléchir la répartition qu’il avait faite des églises cappadociennes entre églises protobyzantines, églises des IXe-XIe siècles et églises du XIIIe siècle : les églises protobyzantines sont plus nombreuses, les décors aniconiques ne semblent pas antérieurs au IXe siècle, les peintures « archaïques » correspondent en fait à l’art de la capitale, tout comme celui des églises à colonnes, et les églises du XIIIe siècle, plus abondantes, renouvellent notre connaissance des Grecs à l’époque seldjoukide.

Outre la compréhension de l’iconographie, Catherine a mené un examen minutieux des aménagements liturgiques des églises dans le sanctuaire et ses annexes, le narthex et les bas-côtés, notamment dans le cas des chapelles funéraires. Surtout, elle a analysé les monuments comme des ensembles avec différentes salles et installations (salles communes, réfectoires, cellules, cuisines, pressoirs ou pigeonniers), voire la circulation des eaux dans certains ensembles. Elle a pris en compte toutes les formes d’habitat de la région, y compris les villes rupestres, tout en restant critique devant certaines interprétations récentes d’établissements comme des résidences. Enfin, elle a souligné les lourdes menaces qui pèsent sur ce patrimoine : l’érosion, les déprédations diverses et un tourisme parfois agressif.

L’apport de Catherine Jolivet-Lévy à l’étude de la Cappadoce, dont font partie certaines recensions magistrales, est donc considérable. Elle a aussi contribué à décloisonner les décors de cette province pour les insérer dans les courants de l’art byzantin et plus largement chrétien oriental.

La récipiendaire de ces Mélanges a été de fait active sur tous les aspects du patrimoine byzantin dans d’autres régions de Turquie, sur la peinture constantinopolitaine du XIIIe siècle et ses contacts avec l’Occident, sur les fresques du XIe siècle subsistant dans la basilique orientale de Xanthos et sur les constructions arméniennes dans l’est du pays comme l’église d’Aght‘amar. Hors des frontières turques, elle a accompli des missions sur les peintures rupestres de Crimée, a publié sur les peintures chypriotes (Saint-Néophyte), sur les décors peints et en mosaïque de Grèce et a tout récemment participé à un livre sur les peintures de San Filippo di Fragalà en Sicile (sous presse aux éditions de l’École française de Rome). Sa connaissance des manuscrits, des ivoires, des tissus coptes et des icônes est aussi attestée dans beaucoup de ses travaux.

Plusieurs manuels et ouvrages généraux, rédigés par elle seule ou en collaboration, témoignent enfin de sa maîtrise de l’ensemble de l’art byzantin et de la place de celui-ci dans l’art médiéval. Professeur exemplaire, elle a su former une relève de chercheurs et d’enseignants dont les apports sont déjà très substantiels.
La lecture de sa bibliographie jointe à cette notice et les contributions qui suivent illustrent l’éclatant apport de Catherine Jolivet-Lévy à l’étude de l’art chrétien du monde balkanique et oriental.